Comment adopter la slow pédagogie ?

J’emploie ici avec préférence le terme “adopter” plutôt

qu’ “appliquer” car il s’agit d’un état d’esprit qui s’adopte et non d’une méthode qui s’applique.

Un état d’esprit slow pédagogie émerge en agissant sur 4 axes :

01.

Considérer l’activité spontanée de l’enfant

Que veut dire considérer ?

Le Larousse donne les définitions suivantes :

  • Regarder quelqu’un, quelque chose avec attention ;
  • Observer longuement ;
  • Regarder, envisager quelque chose sous un certain angle ;
  • Peser quelque chose, l’apprécier, le prendre en compte ;
  • Respecter quelqu’un, l’avoir en estime.
  • Pour de multiples raisons,  nous omettons souvent de considérer l’activité du jeune enfant.

    A regarder l’enfant qui construit une tour de Légos, qui tourne les pages d’un livre en tissu, qui déshabille une poupée, qui tape dans un ballon, qui fait une course à 4 pattes, qui aligne minutieusement ses petites voitures, qui dessine des ronds sur son ardoise magique ou encore qui creuse un tunnel dans le bac à sable, on dira assez spontanément que l’enfant est en train de jouer.

    Utiliser un seul et même terme pour des activités aussi variées que cela révèle assez bien la manière dont nous considérons celles-ci. Alors que l’enfant use de délicatesse pour construire sa tour, de concentration pour tourner les pages du livre, de motricité fine pour déshabiller sa poupée, de précision pour taper dans le ballon, de coordination pour faire une course à 4 pattes, de logique mathématique pour classer ses voitures, d’application pour bien fermer ses ronds dessinés et de stratégie physique pour que son tunnel ne s’écroule pas, nous estimons simplement et rapidement qu’il joue. Notre vision étriquée du contenu de l’activité de l’enfant nous amène alors à différentes attitudes vis-à-vis des enfants comme par exemple leur demander d’interrompre promptement ce qu’ils sont en train de faire pour venir manger (puisque ce qu’ils sont en train de faire n’est pas important, ils peuvent (et doivent !!) venir de suite), leur acheter des tas de jouets dits d’éveil ou leur faire enchaîner plusieurs propositions ludiques sur un temps resserré.

    Cette façon d’agir porte le risque de brider l’exploration spontanée de l’enfant et par là même de réduire le potentiel d’apprentissages fortuits qui y est associé. Elle entache aussi le plaisir naturel de découvrir.

    Nous sommes en réalité aveuglés par un décalage de vision entre nous –adultes – déjà porteur de connaissances et eux – enfants-  en posture d’apprenants. Alors que pour nous l’activité à laquelle s’adonne l’enfant nous semble futile, elle est, pour lui, absolument géniale !

    L’adulte est souvent plus vite lassé parce qu’il a déjà compris alors que l’enfant lui ne s’extraira pas d’une exploration tant qu’il n’a pas compris comment ça fonctionnait.

    Ne nous trompons pas, les enfants ne sont pas des adultes en miniatures, mais bien des êtres en devenir.

    En acceptant de considérer que l’enfant n’est pas juste en train de jouer mais qu’il est attelé à un vrai travail exploratoire qui contribue à son développement intellectuel, moteur, affectif et relationnel, nos attitudes vis-à-vis de lui vont changer et nous allons entrer naturellement dans un état d’esprit de Slow pédagogie.

    A partir du moment où l’on considère chaque détail, chaque tentative, chaque effort, l’activité de l’enfant nous apparaît alors tout d’un coup très enrichissante. De là nous abandonnerons par exemple la démarche de vouloir acheter tant et tant de jouets ou de multiplier nos propositions ludiques pour garantir son éveil.

    Ce regard attentif porté avec sincérité tient en lui une relation qualitative très bénéfique pour l’enfant. En considérant mieux l’activité de l’enfant, nous considérons aussi mieux l’enfant lui-même. Ainsi nous contribuons directement au développement de son estime de soi. Tous les apprentissages liés à ses explorations se trouvent également soutenus puisque que les neurosciences prouvent aujourd’hui que l’être humain apprend davantage dans un contexte bienveillant.

    La considération de l’activité spontanée de l’enfant s’avère aussi très profitable à l’adulte. En saisissant les détails de l’action entreprise, l’adulte prend conscience de tout le processus d’apprentissage engendré par l’enfant, cela lui donne des occasions supplémentaires d’être fier de l’enfant qu’il accompagne. Par ailleurs, la relation considérante étant du genre gagnant-gagnant, le respect du cadre dessiné par l’adulte est très souvent bien accepté par l’enfant. L’adulte peut trouver dans la Slow pédagogie un certain allègement du fait qu’en laissant l’enfant aller au bout de ses explorations, celui-ci s’occupe plus longuement.

    Nos yeux doivent physiquement se tourner vers l’activité en elle-même.

    Il ne s’agit pas de voir l’activité mais bien de la regarder pour comprendre ce qui est entrepris. Dans « avec attention » il y a l’idée que le temps accordé est suffisamment long pour qu’il y ait une vraie considération. Tout juste une minute peut être considérée comme une attention longue au regard de l’absence total d’attention habituelle.

    Il a besoin de manipuler et d’éprouver avec tous ses sens pour comprendre.

    Notamment dans son rythme. La répétition fait partie du processus constructif, l’enfant a donc besoin de renouveler plusieurs fois ces explorations.

    Décrire l’action et l’effort entrepris. Valoriser l’enfant.

    Cette considération positive se pose alors comme préalable aux autres actions qu’il est possible d’entreprendre pour adopter l’état d’esprit slow pédagogie.

    Choisir le matériel, le mettre à disposition et lui accorder du potentiel

    02.

    Les critères de choix :

    la nature de l’objet

    Les objets dont la vocation n’est pas prédéfinie remporte en général un grand succès.

    Citons par exemple les petites planchettes de bois dont la marque la plus connue est Kapla. Si les enfants adoptent largement ces planchettes si simples, si basiques c’est parce qu’elles possèdent une grande jouabilité. C’est à dire qu’elles peuvent être jouées de multiples manières. Tantôt elles sont éléments de construction, tantôt elles sont frites dans une casserole de dinette, etc… Pouvant être ré-inventées à l’infini, ces planchettes ont moins de chance d’être délaissées par l’enfant, en comparaison à un jouet dont la vocation est toute programmée. Au contraire, il joue même plus longtemps avec ce type de matériel car le sentiment d’avoir fait le tour des possibles du jeu n’est pas atteint. Notons aussi, qu’en décidant lui-même du destin de son matériel, l’enfant est réellement acteur de son jeu ; tous les bienfaits de cette posture (développement des compétences, de l’estime de soi, etc…) sont donc favorisés.

    Il est pertinent, pour le jeune enfant, que le matériel/jouet choisi propose des découvertes limitées si ce n’est unique.

    Il est fréquent de trouver du matériel d’éveil tout-en un, comme des boîtes à formes qui propose, selon les faces de découvrir les couleurs, les formes, l’alphabet ou encore le bruit des animaux. Tous ces éléments d’éveil réunis peuvent être confus pour l’enfant et ne facilite pas la focalisation de l’enfant sur le développement d’une compétence ; au contraire ils sont source de dispersion. Ainsi il est intéressant de trouver du matériel offrant une seule découverte. Selon son intérêt du moment l’enfant s’orientera alors par choix vers le matériel qui lui propose d’expérimenter ce qui l’attire : les ordres de grandeur (pyramide de cubes par exemple) ou les couleurs ou encore les formes (avec des encastrements par exemple). Cloisonner les apprentissages, les rend plus clairs et plus conscients.

    Animés par l’envie de comprendre le monde qui les entoure, les jeunes enfants ont souvent un fort attrait pour les objets issus de la vie quotidienne (ustensiles de cuisine, récipients en plastique, etc)

    L’enfant n’attend pas d’un objet qu’il soit appelé “jouet” pour avoir envie de le manipuler et d’en comprendre son fonctionnement. Pour lui,  tous les éléments qui l’entoure sont des sources d’éveil. Il est même plutôt frustrant pour le jeune enfant de se contenter de faux-semblants (casseroles de dinette ou toutes autres répliques d’objets de la vie quotidienne). Parce que les tailles ne sont pas réelles, ni les couleurs, ni la fonctionnalité, il n’en veut pas ! C’est seulement après avoir pu toucher au réel, que l’enfant accepte le monde imité, soit vers 3-4ans généralement.

    Ce n’est pas avec plus de jouets que l’enfant joue plus.

    Bien au contraire d’ailleurs. Le “trop” inspire souvent le déballage, l’activité éparpillée, décousue, et par la même occasion le débordement d’émotions. Il est donc important que l’espace de jeu de l’enfant ne soit pas surchargé d’objets. Pour se poser, pour investir un jeu, pour créer, pour imaginer, l’enfant a besoin d’un espace clair. Veiller à la quantité d’objets mis à disposition est donc une manière de soutenir le jeu constructif du jeune enfant.

    Avec un peu d’imagination (les enfants en ont souvent plus que nous !) on se rend compte qu’un matériel, qu’un élément de l’aménagement peut avoir plusieurs fonctions.

    Ainsi une table peut devenir cabane, un meuble fait de cases ouvertes, un tunnel. Voir dans l’existant un tout autre potentiel permet de limiter les achats de matériel qui viendrait ajouter de l’encombrement.

    Le potentiel du matériel/des jouets réside également dans l’autorisation faite à l’enfant de combiner ses jeux.

    Nous limitons parfois le jeu et l’imagination de l’enfant (et donc le temps passé à jouer en autonomie) en interdisant le mélange des genres. Il faudrait qu’il range les Kapla avant de jouer avec ses voitures ou ses animaux. Or l’enfant, par sa grande capacité à inventer peut imaginer construire un enclos pour ses vaches à l’aide de ses Kapla ou un parking pour ses voitures. Veillons donc à ne pas être responsable d’une fin précipitée du jeu de l’enfant par simple souci de rangement. Si l’idée de la quantité de matériel (évoquée plus haut) est respectée, il n’y aura d’ailleurs pas à craindre un désordre démesuré dû à cette permission de combiner.

    Ce travail sur le matériel favorise une exploration autonome. L’adulte est alors moins confronté au sentiment que l’enfant “ne sait pas jouer tout seul”.

    Faire rimer les propositions ludiques avec expériences

    03.

    L’adulte est bien souvent en quête d’activités à faire faire à l’enfant. Peut-être commet-il ici une première maladresse ? Pour s’éveiller, le besoin du jeune enfant réside plus dans le vivre que dans le faire. L’adulte doit donc davantage chercher des ateliers où l’enfant va vivre une expérience.

    Pour proposer ses expériences ludiques, l’adulte peut réfléchir de sorte à ce que l’atelier :

    - permette de découvrir le monde réel

    Encore une fois, le jeune enfant est animé par l’envie de devenir partie intégrante du monde qui l’entoure. Pour le saisir, il a donc besoin de le manipuler, de l’expérimenter. Les ateliers donnant accès à des matières notamment naturelles (terre, sable, eau, etc) sont très appropriées.

    - donne à comprendre

    L’enfant investit son activité s’il sent en elle un potentiel de découvertes et de développement. Donnons pour exemple les ateliers permettant de visualiser la transformation (ex : fonte des glaçons) ou d’expérimenter les relations de causes à effets (projection d’images par la lumière).

    - permette la répétition

    Pour construire sa pensée logique, l’enfant a besoin de prendre note des étapes. Pour cela, il a besoin de faire, défaire et recommencer. Peindre sur une feuille de papier a un intérêt limité pour le jeune enfant car la dimension même du papier impose la fin de l’expérience. Peindre sur un miroir et disposer d’une éponge est une expérience tout autre car l’enfant va pouvoir recouvrir son support, le nettoyer et recommencer (peut-être d’une toute autre manière).

    Une activité ne doit pas être synonyme d’occupation mais plutôt d’expérience.

    Mettre la relation au cœur de la construction du jeune enfant

    04.

    Pour les jeunes enfants, tous les moments de la vie sont sources d’éveil. Ainsi ils voient dans les tâches quotidiennes de l’adulte un potentiel de découvertes et d’apprentissages. Spontanément le jeune enfant a envie d’aider à ranger les courses, à plier le linge ou encore à essuyer la table avec une éponge. En plus de sentir ses compétences se développer, l’enfant trouve dans cette collaboration un partage riche avec l’adulte, fait de discussions (mise en mots des gestes de la vie courante) et de complicités.

    Lorsqu’on demande à un adulte d’évoquer un bon souvenir de sa prime enfance, c’est, dans la plupart des cas un moment vécu qui est raconté (plutôt que la citation d’un jouet en particulier). Cela donne une information intéressante sur ce que l’adulte peut offrir à un enfant. Une balade à la rivière, un après-midi bricolage, une soirée dans une cabane marquent à coup sûr les esprits et représentent des cadeaux d’une valeur très importante aux yeux de l’enfant (souvent plus qu’un énième jouet).

    C’est parce qu’il y a relation, partage et émotion que l’instant s’ancre dans la mémoire de l’enfant. Accompagner le jeune enfant avec un état d’esprit Slow pédagogie c’est donc aussi privilégier le lien.